Ex-haut dirigeant à la Banque mondiale, Vera Songwe était jusqu’en 2022 secrétaire exécutive de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, la première femme à ce poste. Depuis lors, elle est présidente de la Liquidity and Sustainability Facility (LSF) qui offre des solutions de liquidité aux Etats. L’économiste camerounaise livre ici son analyse sur le marché des euroobligations qui a le vent en poupe sur le continent.
LA TRIBUNE AFRIQUE – Après de hautes fonctions à la Banque mondiale et aux Nations Unies, vous êtes aujourd’hui cheffe d’entreprise. Si vous deviez résumer votre parcours en trois mots, que seraient-ils ?
VERA SONGWE – J’espère que je ne suis pas encore en train d’achever ma carrière, mais trois mots clés qui caractérisent mon parcours, je dirais la persévérance, la ténacité et la clarté de l’objectif, c’est-à-dire le désir d’accomplir quelque chose de significatif et d’axer sur les ressources.
Vous présidez aujourd’hui la Liquidity and Sustainability Facility (LSF) que vous avez fondé. Comment cette structure est-elle née et en quoi concourt-elle à cette volonté de réaliser quelque chose de significatif ?
J’ai fondé cette institution financière pour qu’elle puisse fournir des liquidités à l’économie africaine. Car, l’un des plus grands problèmes de l’Afrique aujourd’hui est le financement et le besoin de liquidités. Et si l’on peut fournir plus de liquidités au continent, nous pourrons alors financer notre développement. Ce que j’essaie donc de faire à travers LSF, c’est de réduire le coût des emprunts. Il faut dire que les taux d’intérêt et le coût de l’emprunt sont très élevés pour les pays africains. Si nous parvenons à les ramener à un niveau plus abordable, nous pourrons alors travailler et nous offrir des capitaux de bien meilleure qualité, beaucoup moins chers, ce qui nous permettra d’investir beaucoup plus rapidement.
Pour justement diversifier leurs sources de financements, les pays africains se tournent de plus en plus vers le marché des eurobonds. 23 pays ont déjà émis plus de 150 milliards d’euros d’euro-obligations. Mais certains experts estiment que ce système ne profite pas à l’Afrique en raison des taux pratiqués. Quel est votre regard sur le sujet ?
Je considère que la question n’est pas de savoir si le système profite à l’Afrique ou non. Le vrai sujet des eurobonds est de savoir si l’Afrique obtient la bonne notation de crédit. Celle-ci dépend des macro-fondamentaux, en d’autres termes la liquidité, la capacité du pays à liquéfier ses titres, et ensuite de la perception du risque. Les macro-fondamentaux du continent sont plus ou moins bons et LSF vise à créer plus de liquidité. Concrètement, ce qui signifie que si vous achetez du papier africain, vous devriez être en mesure de le transférer en espèces assez rapidement. Si vous pouvez résoudre ce problème, parce que nous ne pouvons pas résoudre le problème de liquidité sur le continent, cela nous coûte plus cher d’émettre sur le marché des euro-obligations. La résolution de ce problème de liquidité réduira donc le coût des euro-obligations.
L’autre sujet important est celui de la perception du risque. Nous devons travailler dessus et ensuite essayer de l’éliminer en informant les investisseurs. Si je suis noté BB, je dois dire aux investisseurs que mon titre est tout aussi bon qu’un titre américain noté BB. Mais pour cela, nous devons être en mesure de remplir toutes les conditions auxquelles est soumis un titre américain noté BB. Il y a donc du travail à faire en termes de retour sur investissement, de stabilité politique dans les pays, etc. Une fois que nos pays auront travaillé sur tous ces éléments, notre accès au marché des eurobonds sera le même que celui de n’importe quel pays dans n’importe quelle région du monde.
Cela contribue-t-il aussi à faire face à la crise de la dette qui perdure depuis plusieurs années dans de nombreux pays africains ?
Le problème de la crise de la dette est très simple. Si un pays africain va sur le marché aujourd’hui pour émettre une obligation de 100 dollars et paie 8%, cela signifie que pour chaque dollar, il va payer 80 centimes. Il est clair que ce pays va avoir des problèmes. Si l’Allemagne, pour le même type d’obligation, paie 2%, elle n’aura pas de problèmes. Ce que nous voulons, c’est que les pays africains puissent payer le même prix que les pays occidentaux, c’est-à-dire un peu moins cher. Ce n’est donc pas que le marché des eurobonds est mauvais, c’est que le coût d’accès à ce marché est élevé. Mais nous savons ce que nous devons faire pour réduire ce coût. C’est la raison pour laquelle des institutions comme la mienne existent.
Un pays comme l’Allemagne bénéficie d’une notation de crédit préférentiel AAA. Aujourd’hui, aucun pays africain n’est pour l’instant noté triple A. Nous espérons qu’avec le temps et les efforts, nous y arriverons.
Le financement du développement reste central dans le contexte international actuel fait de tensions géopolitiques, tant les besoins restent énormes. Suite à l’actualité récente dans ce secteur sur le continent (la BERD en Afrique subsaharienne, l’élection et en tant qu’économiste, quelles sont vos perspectives à moyen terme ?
Mes perspectives à moyen terme pour la finance de développement sont toujours positives. Il faut être optimiste dans ce domaine. Mais je pense que le plus important, c’est qu’il y a une prise de conscience sur le continent que nous devons faire mieux. Vingt fonds de pension africains se sont récemment réunis pour mettre en commun leurs ressources, soit 250 millions de dollars, pour la première fois, afin de dire que nous voulons nous rassembler et réaliser un projet d’infrastructure commun. Il faudrait davantage cultiver ce type d’initiative pour que le continent se développe. Cela permettrait par exemple à la République démocratique du Congo (RDC) – qui porte un gros projet autour du cobalt- de décupler sa production et le traitement locale, mais aussi d’envisager plus sereinement la transformation si quatre banques régionales s’y associent.
Nous parlons depuis si longtemps du potentiel de l’Afrique, mais un potentiel qui n’est pas transformé est un échec. Nous devons cesser d’échouer et commencer à réussir. Pour cela, ce dont nous avons le plus besoin, c’est le leadership de nos gouvernements.
Comment engager davantage le secteur privé ?
Le secteur privé est déjà engagé. Les choses bougent du côté des entreprises et nous sommes dans du concret. Je pense que ce que nous aimerions, c’est aller plus vite. Pour cela, il suffit que le secteur public entreprenne de bonnes réformes. S’il crée un environnement propice aux réformes, le secteur privé prospérera.
Source : La Tribune Afrique