Bénin/Stigmatisation liée à l’infertilité : Un drame dévastateur pour les femmes

Au Bénin comme dans bien de pays, la grossesse reste essentielle à la perception de la féminité et de ce qu’est un couple. Avoir des difficultés à concevoir devient rapidement un drame aux lourdes conséquences pour les couples, mais surtout pour les femmes, tenues pour responsables de la situation. Entre auto-stigmatisation et stigmatisation sociale, ces dernières voient leur quotidien se transformer en un drame aux conséquences dévastatrices.

Akassato, un arrondissement de la commune d’Abomey-Calavi à 18 kilomètres au Nord de Cotonou, la capitale économique du Bénin en Afrique de l’Ouest. Assise à l’entrée de sa maison cette matinée de samedi, Isabelle F., la trentaine, regarde dans le vide. Ses yeux sont tristes et se referment de temps en temps pour laisser couler des larmes. Vendeuse de fruits et légumes dans un marché de la place, la jeune femme repense sans cesse à l’humiliation qu’elle a essuyée, la veille. « Hier matin au marché, le petit garçon d’un an et demi de ma voisine est venu vers mon étalage et je l’ai pris dans mes bras pour lui faire un câlin. Sa mère me l’a aussitôt arraché comme si j’allais faire du mal au bébé. Elle m’a jeté à la figure d’aller accoucher si je suis une vraie femme », raconte Isabelle, la voix chevrotante.
Ce genre d’humiliation, Isabelle ne le connaît que trop. Mariée depuis dix (10) ans, la jeune femme n’a pas encore eu ce qu’elle appelle « la grâce d’avoir un enfant ». Les grossesses, elle en a connu mais aucune n’est arrivée à son terme. Pour Isabelle qui la vit comme une malédiction, la situation est d’autant plus pénible que son entourage ne rate aucune occasion pour lui rappeler qu’elle n’est pas une « vraie femme ».

« J’adore les enfants et c’est très dur quand des mères empêchent les leurs de venir vers moi. Elles me traitent comme une sorcière et ça me blesse profondément», se lamente Isabelle. Avec le temps, dit-elle, elle a fini par s’habituer aux insultes et dit ne tenir le coup que grâce au soutien de Marin F., son mari qui a toujours été là pour elle.
Agent de sécurité dans une société privée à Cotonou, ce dernier se dit convaincu que sa femme finira par lui donner un enfant un jour. «Elle n’est pas stérile. Elle est tombée enceinte plusieurs fois déjà a perdu les bébés. J’ai espoir, ça finira par arriver », se rassure Marin F. Depuis plus de cinq ans, il résiste à la pression de sa famille qui n’arrête de lui conseiller de se séparer d’Isabelle qui ne peut lui assurer une descendance : « Je l’aime et je la défendrai contre vents et marées, quoi qu’il arrive ».
Contrairement à Isabelle, Rufine, 35 ans, n’a pas pu compter sur son mari quand, après trois années de mariage sans enfant, son couple a éclaté. « Mon mari a commencé par découcher. Il a fini par m’abandonner pour une autre. Ils ont une fille ensemble », raconte la jeune femme.
Cadre dans une institution financière à Cotonou, Laëtitia, 38 ans a, elle aussi, vu son mari la délaisser parce qu’elle n’arrivait pas à concevoir. Mariée depuis 2016, elle a commencé depuis 2018, sa quête d’un enfant pour sauver son mariage : « Mon mari est issu d’une famille nombreuse. Son rêve a toujours été de fonder une grande famille. Un an après notre mariage, sa famille lui mettait déjà la pression».
Laëtitia va se lancer alors dans une recherche effrénée d’un bébé pour satisfaire son mari et sauver son couple. « J’ai fait des analyses, des échographies pelviennes, j’ai suivi traitement sur traitement, tant dans la médecine moderne que celle traditionnelle, mais je ne suis jamais tombée enceinte», relate désespérée, la jeune femme.
L’enfant tardant à venir, son mari n’a pas résisté bien longtemps aux pressions permanentes de sa famille. Il a cédé au bout de deux ans. «Je me suis résignée à le laisser prendre une deuxième femme qui lui a déjà donné deux enfants », confie Laëtitia.

L’infertilité, un problème sanitaire majeur

Isabelle, Rufine et Laëtitia ont en commun de souffrir d’infertilité. Elles ne sont pas seules. Comme elles, nombreux sont les Béninoises et Béninois à faire face à ce mal. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), « l’infertilité est une maladie du système reproducteur masculin ou féminin, définie par l’incapacité d’obtenir une grossesse après 12 mois ou plus de rapports sexuels réguliers non protégés ».
La maladie peut être classée en deux catégories, l’infertilité primaire, dans laquelle les personnes sont incapables d’avoir un premier enfant, et l’infertilité secondaire, dans laquelle une personne a déjà eu un bébé, mais est incapable de concevoir à nouveau.
Dans un rapport publié le 4 avril 2023, l’OMS estime que l’infertilité touche environ 17,5 % de la population adulte, soit environ une personne sur six dans le monde. Selon l’organisation, il s’agit d’un problème sanitaire majeur dans tous les pays et dans toutes les régions du monde.

D’après Dr Epiphane Gandaho, gynécologue-obstétricien au Centre hospitalier départemental de l’Ouémé à Porto-Novo, la capitale politique du Bénin, l’infertilité touche autant les hommes que les femmes. « Dans près de 40% des cas, c’est la femme qui est concernée, dans 30% l’homme et dans 10% des cas, les deux et pour le reste, on fouille partout mais on ne trouve jamais de cause ».
Quand elle est féminine, l’infertilité peut avoir plusieurs origines, explique Dr Gandaho qui cite des fibromes et l’âge de la femme : « (…) les fibromes occupent la place où l’enfant doit rester ou alors, ils sont si gros qu’ils bouchent les trompes. Aussi, une femme trop âgée n’est plus en mesure d’avoir de bons hormones et là, elle ne pourra pas répondre à un bon sperme même si c’est un jeune », précise le spécialiste.
Dans son rapport cité plus haut, l’OMS mentionne un large éventail d’autres facteurs, notamment les infections sexuellement transmissibles, les trompes de Fallope obstruées, les troubles utérins tels que l’endométriose, les troubles des ovaires tels que le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) ou les déséquilibres des hormones reproductives.

Des traitements inaccessibles et onéreux
Les couples touchés par l’infertilité ont souvent du mal à trouver des traitements abordables et accessibles.
Selon l’OMS, malgré l’ampleur du problème, les solutions pour la prévention, le diagnostic et le traitement de l’infertilité – y compris les technologies de procréation assistée telles que la fécondation in vitro (FIV) – restent insuffisamment financées et sont souvent inaccessibles pour beaucoup, en raison des coûts élevés, de la stigmatisation sociale et de la disponibilité limitée.
Au Bénin, la procédure dont le coût varie entre huit cent mille francs CFA et un million cinq cent mille francs CFA (entre 1200 et 2300 euro) est hors de portée pour le plus grand nombre regrette Dr Gandaho.
« Le véritable problème chez nous, c’est que peu de médecins gynécologues béninois sont spécialisés dans ce sous domaine de la gynécologie. Par ailleurs, le matériel coûtant cher, très peu de cliniques se hasardent à créer un centre d’AMP », renchérit Dr Awxlimandji, un médecin pédiatre. Raison pour laquelle, explique-t-il, « les collègues adressent majoritairement les patientes vers le Togo, le Ghana et le Nigéria où le taux de réussite est relativement plus élevé ». Toutefois, le gynécologue pense qu’au-delà des causes scientifiquement connues, il y a d’autres paramètres parfois difficiles à expliquer et qui empêchent des couples de concevoir.
Les femmes sur le banc des accusés
Pour Isabelle, Rufine et toutes celles touchées par le mal de l’infertilité, la vie devient un chemin de croix permanent. Maltraitée par son mari et humiliée par sa belle-famille qui lui lançait constamment des insultes sous forme de proverbes blessants, Rufine a fait deux tentatives de suicide avant de retourner vivre auprès de sa mère.
Toujours très amoureuse de son mari qu’elle voit désormais « rarement », Laëtitia est au bord de la dépression, rongée par une grande culpabilité de n’avoir pu concrétiser le rêve de son mari. Envahie par le sentiment d’être « inutile sur cette terre », elle n’a presque plus de vie sociale et fui les invitations de ses collègues à fêter les anniversaires de leurs enfants.
Si l’infertilité d’un couple peut être féminine, masculine ou liée au couple tout simplement, les femmes sont majoritairement accusées d’en être les responsables. Dans la société béninoise où l’enfant est considéré comme la première de toutes les richesses, la fierté du couple et le pilier autour duquel tout se construit, ne pouvoir procréer constitue pour la femme une source de détresse.
« C’est notre société qui est ainsi bâtie. Lorsque l’infertilité est déclarée chez une femme, elle devient craintive, stressée et pensive parce qu’elle se trouve dans une situation critique et réagit en conséquence par rapport à son entourage. Le désespoir et la honte deviennent son mode de vie », souligne Carole N. Codo Docteur en sociologie.

Décidées à avoir un enfant et financièrement limitées par le coût hors de leur portée du traitement médical, de nombreuses béninoises préfèrent s’engager dans des solutions traditionnelles. Selon le tradi-praticien Marcellin Houndémikon, la médecine traditionnelle offre plusieurs types de traitements aux couples ayant des difficultés à avoir un enfant : « (…) le traitement peut être physique, mental ou spirituel selon le cas qui se présente ».
C’est le cas de Florence, 33 ans. Mariée à Albéric, un professeur des collèges depuis quatre ans, elle a subi une myomectomie en 2021 et espéré depuis porter une grossesse. Au bout de deux ans d’attente vaine, une échographie a révélé des trompes bouchées et l’existence d’autres myomes dans sa cavité utérine.
« Des analyses aux échographies jusqu’à la myomectomie, je ne peux pas comptabiliser tout ce que nous avons déjà dépensé », se plaint-elle. Elle a, d’un commun accord avec son mari, décidé de confier son projet de maternité à un tradipraticien qui l’a mise sous traitement, lui promettant une issue heureuse. Mais, malgré cette promesse, le tradi-praticien, reconnait que « la médecine traditionnelle aussi n’arrive pas à bout dans certains cas ».

Yannick S.

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