Deux décès en une semaine. C’est le triste bilan qu’a enregistré le monde des dockers opérants à la Société béninoise des manutentions portuaires (SOBEMAP). Les sieurs Alakpini Alain et Nonvignon Raphael sont tombés le ventre affamé sous le regard impuissant de leurs collègues qui, dépassés, crient au secours.
Les dockers béninois ne sont pas encore visiblement au bout de leur peine à la SOBEMAP. Des décès en série qui n’inquiètent personne et la saignée continue. « Nous sommes dans l’après-midi du jeudi 20 octobre 2022 quand le sieur Alakpini Alain, matricule D 0328 est tombé et s’est évanoui en pleine activité de débarque sur un navire rizier. Coup d’éventail, jet d’eau, tous les gestes de ses collègues étaient bons pour lui faire reprendre ses esprits, en attendant l’arrivée des secours. Ces derniers auraient mis du temps, mais parvinrent finalement à le sortir de la calle pour le centre de santé de la Sobemap. Là, les premiers soins aussi se seraient fait désirer, car, abandonné sur un banc, des heures après, le malade, fatigué et épuisé fini par perdre toutes ses forces et rendit l’âme », a rapporté un témoin du drame qui requiert l’anonymat. Deux jours après, un scénario identique se répète dans la même société, toujours sous le regard impuissant des dockers. «Celui qui est décédé le samedi 22 octobre s’appelle Nonvignon Raphael, et a pour matricule le D 7334», précise Augustin Azanmassou, surnommé président des Dockers. Selon ce dernier, « Nonvignon Raphael est tombé dans un magasin pendant qu’il travaillait. Il a été secouru sur place par ses collègues, mais une fois qu’il a retrouvé ses esprits, le responsable du magasin lui remet sa carte et lui demanda de rentrer. Il s’efforce et quitte l’enceinte portuaire pour le hall des dockers ou il devra se dépointer dans le système électronique de présence au poste mis en place par la direction, au risque de perdre les sous de l’embauche du jour. Là dans le hall, il attendait que l’heure de dépointage sonne d’abord. Il se tenait debout contre un pilier à quelques pas de l’appareil puis s’écroule et décède. À l’arrivée des secours, le médecin du groupe constate le décès, prit les témoignages et ordonne que le corps sans vie soit amené à la morgue» a raconté le président des dockers. Deux décès en l’espace de soixante-douze heures qui ne sont pas liés à des accidents tragiques, mais plutôt à des malaises due à la fatigue, à la faim selon les témoins sur place. Selon ces témoins, les deux camarades décédés n’avaient aucun franc sur eux. Toutes choses qui sont la preuve de ce que les conditions de vie et de travail des dockers à la Société béninoise des manutentions portuaires (SOBEMAP) laissent à désirer.
Le Ras-le bol des dockers, le bureau d’embauche, brin d’espoir
Après le drame de la nuit du samedi, le hall des dockers était devenu le champ de tous les débats, de toutes les récriminations. Pour Jules, agent occasionnel présent sur les lieux lors du drame, de samedi, il est important que le Chef de l’Etat revoie le cas de la Sobemap. « Ce n’est pas normal. Nos collègues tombent et meurent comme des mouches ou des cafards empoisonnés. C’est à croire que nous sommes dans une entreprise qui nous exploite pour la mort. Ils sont dans les bureaux, ils ont leurs salaires à bonne date et les grosses primes alors que le docker est au front avec tous les risques et gagne des miettes. C’est déplorable, on ne peut plus continuer comme ça, » a affirmé Jule remonté. À côté de lui, Basile et Franck, larmes aux yeux, trouvent misérable la vie du docker. Interrogés par l’équipe de reportage, ils se sont fondus en larme. La situation n’est visiblement pas nouvelle et relèverait du quotidien de ses employés de la plateforme portuaire. Les employeurs conscients, ne veulent même pas qu’on en parle. C’est d’ailleurs la répression incognito contre tous ceux qui s’aventurent à dénoncer le fait. En juillet 2021, un journaliste béninois Yanick Somalon, lui-même occasionnellement docker, dans un essai, «Docker Béninois» a étalé une série de drames similaires et déploré la situation de cette catégorie professionnelle. Joint au téléphone pour comprendre le fait, l’auteur du livre renseigne: «Ce ne sont pas des choses qui doivent vous étonner en réalité, car, depuis juillet 2021 quand j’ai publié mon livre, je ne suis plus le bienvenu dans les bureaux de la société. On me regarde comme un extraterrestre qui est venu combattre les intérêts de la société alors que ce n’est pas le cas ». Le journaliste écrivain, Yannick Somalon poursuit: «Le docker béninois, c’est un occasionnel à vie. Parce qu’il n’a aucun contrat et c’est ce qu’il fait qu’il gagne. Après 20ans, il se rend compte qu’il n’a rien dans un compte quelque part, qu’il n’a rien réalisé et que les frais de la vacation n’ont pas évolué depuis plus de dix ans et tout coûte cher de nos jours. Il devient pensif, car il a des enfants à nourrie et à mettre à l’école, à soigner quand ils tombent malades. Dans ces calculs, il n’arrive plus à manger à sa faim. L’être humain dans ces conditions ne peut que s’écrouler et mourir de faim, de fatigue, du simple palu, etc…». Toutefois, ces énièmes décès vont peut-être interpeler la conscience collective afin que les réformes en cours aboutissent selon l’auteur de l’essai « Docker béninois ». Pour finir, « La réforme du Bureau d’embauche unique des dockers initié par le gouvernement est la seule alternative pour sauver les agents occasionnels de la précarité. Cela n’avantage guère les sociétés agréées qui font tout pour empêcher cela, mais le chef de l’Etat doit tenir bon et aller au bout pour le mieux-être des dockers » ?, a-t-il précisé. Il faudra donc souhaiter que les réflexions s’accélèrent et que ces structures voient rapidement le jour au grand bonheur de ces acteurs importants de la plateforme portuaires victimes de mépris à plusieurs égards.
Lawal RAFIOU