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Christophe Agbodji à propos de la situation de la jeunesse : « Le Bénin doit ouvrir la porte à sa relève »

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En ce 12 août, Journée internationale de la Jeunesse, Christophe AGBODJI, acteur politique et Coordonnateur de la section béninoise du Réseau Jeunesse et Politique de l’Afrique de l’Ouest, dresse un constat sans détour : le Bénin forme une jeunesse plus instruite que jamais, mais peine à lui offrir une place à la hauteur de son potentiel. Entre sous-emploi, système politique verrouillé et manque de passerelles vers la décision, il appelle à un sursaut national pour éviter de sacrifier une génération prête à prendre les rênes. Lisez plutôt l’entretien qu’il nous a donné dans le cadre de cette journée.

 

 

En cette Journée internationale de la Jeunesse, comment décririez-vous la situation actuelle des jeunes au Bénin ?

 

La jeunesse béninoise représente aujourd’hui une force démographique et intellectuelle considérable. Les données d’Afrobarometer (avril 2025) sont claires : 47 % des jeunes de 18 à 35 ans ont atteint un niveau secondaire ou post-secondaire, alors que ce taux ne dépassait pas 26 à 32 % chez leurs aînés. C’est un progrès important qui traduit une volonté réelle de formation et d’élévation sociale.

Mais cette avancée éducative reste fragilisée par des inégalités persistantes : l’ex-INSAE nous rappelle que l’alphabétisation globale, notamment chez les jeunes femmes, demeure insuffisante. Un diplôme ne suffit pas si le système n’offre pas les conditions pour s’en servir.

 

 

Certains indicateurs économiques semblent pourtant encourageants. Où se situe la réalité ?

 

Les chiffres officiels peuvent donner l’illusion que tout va bien. Par exemple, la Banque mondiale estime le taux de chômage des 15-24 ans à 3,89 % en 2023, bien inférieur à la moyenne mondiale de 16 %. Mais si l’on se fie aux enquêtes de terrain d’Afrobarometer, la situation est tout autre : près de 29 % des jeunes se disent en recherche active d’emploi, et 72 % sont en sous-emploi. Plus inquiétant encore, 90 % des jeunes actifs évoluent dans le secteur informel, sans protection sociale ni perspectives stables.

 

 

Quelles sont les priorités exprimées par la jeunesse ?

 

Les jeunes Béninois savent très bien ce dont ils ont besoin pour s’épanouir et contribuer pleinement au développement national. Afrobarometer montre que leurs principales priorités sont l’accès à l’eau potable, l’amélioration des routes, la gestion économique, l’électricité et l’emploi. Sur certains points, il y a eu des avancées : 62 % jugent positivement les infrastructures routières. Mais sur des enjeux vitaux comme l’emploi, seuls 18 % estiment que le gouvernement est à la hauteur, 40 % pour la gestion économique et 46 % pour l’eau potable. Les jeunes ne demandent pas l’impossible : ils demandent de l’eau, de l’électricité, des routes… et un emploi digne.

 

 

Qu’en est-il de leur participation politique ?

 

C’est probablement le point le plus préoccupant. Alors même qu’ils sont mieux instruits, les jeunes s’engagent moins politiquement que leurs aînés. Afrobarometer note une baisse du taux de participation électorale, de la présence aux réunions communautaires et des initiatives pour interpeller les élus depuis une dizaine d’années. Cette tendance est continentale : seuls 63 % des jeunes Africains déclarent voter, contre 84 % des plus âgés, et à peine 37 % s’identifient à un parti politique, contre 45 % pour leurs aînés. Ce n’est pas du désintérêt, c’est le reflet d’un système verrouillé qui décourage les nouvelles générations.

 

 

Quels sont, selon vous, les principaux freins à l’émergence politique des jeunes ?

 

Les obstacles sont d’abord structurels. Les partis politiques restent dominés par des élites plus âgées qui ne favorisent pas la relève. L’éducation civique est insuffisante, souvent réduite à des notions théoriques sans application pratique. Et il faut reconnaître qu’un climat politique parfois restrictif, voire dissuasif, peut freiner l’expression libre et la mobilisation des jeunes. On ne peut pas demander aux jeunes d’être engagés tout en leur fermant la porte.

 

 

Voyez-vous des pistes concrètes pour inverser cette tendance ?

 

Oui, il y a des leviers très clairs. D’abord, instaurer de véritables plateformes de participation des jeunes dans les instances décisionnelles, avec des quotas représentatifs. Ensuite, intégrer une éducation à la citoyenneté active dans les programmes scolaires et universitaires. Enfin, s’inspirer des succès du domaine socio-économique : le programme Azôli, salué par la Banque mondiale, a permis à plus de 60 000 jeunes vulnérables d’intégrer les chaînes de valeur agroalimentaires et des emplois salariés. Lorsque l’État investit massivement dans sa jeunesse, les résultats suivent.

 

 

Un mot de conclusion en ce jour symbolique ?

 

 

Le Bénin ne pourra prétendre à une démocratie solide et inclusive que si sa jeunesse est pleinement associée aux décisions. Aujourd’hui, nous avons une génération instruite, connectée et ambitieuse. La question n’est pas de savoir si la jeunesse est prête; elle l’est. La vraie question est : le pays est-il prêt à lui ouvrir la porte ?

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