Ports africains à l’horizon 2035 : vers des écosystèmes portuaires durables, intelligents et résilients
Dans cette analyse, le Dr Damien Ahouandokoun, expert en économie maritime et portuaire, Chercheur associé CREMPOL (Centre de Recherche Maritime Portuaire et Logistique) explore les transformations majeures qui façonneront les ports africains d’ici 2035, en s’appuyant sur les six piliers du développement portuaire durable. Une analyse stratégique incontournable pour anticiper l’avenir logistique et environnemental du continent.
Introduction
Alors que le commerce maritime mondial est en pleine mutation sous l’effet du changement climatique, de la révolution numérique et des impératifs de durabilité, les ports africains se trouvent à la croisée des chemins. À l’horizon 2035, leur transformation ne sera plus une option, mais une nécessité stratégique. Pour anticiper cette évolution, il est indispensable de s’appuyer sur six piliers majeurs : la numérisation, les infrastructures, la santé-sûreté-sécurité, la protection de l’environnement, le renforcement communautaire et le climat-énergie. À travers cette analyse prospective, nous explorons ce que pourraient devenir les ports africains dans 10 ans, à la lumière des Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies et des tendances mondiales.
- Numérisation : vers des ports intelligents, interconnectés et fluides
La digitalisation du secteur portuaire africain est en pleine effervescence. D’ici 2035, 80 % des grands ports africains devraient être équipés de Port Community Systems (PCS), contre seulement 25 % en 2020 (source : PMAWCA). Cette transition numérique s’appuiera sur l’intelligence artificielle, la blockchain et l’automatisation des processus pour sécuriser les flux, réduire les délais de transit et minimiser les coûts logistiques.
Par exemple, le concept d’« arrivée juste-à-temps (JAT) », déjà en vigueur à Rotterdam ou Singapour, devrait se généraliser sur les corridors stratégiques comme Lagos-Abidjan ou Durban-Mombasa. L’intégration des guichets uniques maritimes facilitera l’interconnexion entre administrations, opérateurs privés et utilisateurs.
Toutefois, cette transformation numérique ne pourra produire ses effets sans une infrastructure portuaire adaptée à la montée en puissance du commerce maritime.
Image 1 : Vue numérisation des ports intelligents
- Infrastructures : des plateformes logistiques intégrées, intelligentes et résilientes
La taille moyenne des navires a triplé en 25 ans. Pour faire face au gigantisme naval (18 000 EVP et plus), les ports africains devront adapter leurs tirants d’eau, quais, bassins de radoub, mais aussi réorganiser leur hinterland. La Banque Africaine de Développement estime que plus de 25 milliards de dollars seront nécessaires d’ici 2035 pour moderniser les infrastructures portuaires du continent.
Des zones logistiques portuaires intégrées (ZOLI) devraient se multiplier, connectées aux corridors de transport multimodaux, avec une priorité donnée aux liaisons ferroviaires.
Moderniser les ports ne suffit pas ; encore faut-il garantir leur sécurité, la santé des travailleurs et la sûreté des installations.
Image 2 : vue Infrastructures : des plateformes intelligentes et résilientes
- Santé, sûreté et sécurité : un triptyque au cœur de la gouvernance portuaire
L’expérience de la pandémie de COVID-19 a mis en évidence la vulnérabilité sanitaire des plateformes portuaires. D’ici 2035, des protocoles sanitaires intégrés, des systèmes de contrôle biométrique, des scanners intelligents et l’usage de drones pour la surveillance du fret devraient renforcer la capacité des ports à gérer les crises sanitaires et sécuritaires.
Les menaces cybernétiques ciblant les systèmes portuaires exigeront une nouvelle génération de solutions de cybersécurité portuaire. La mise à jour des normes ISPS sera une priorité constante.
Si la sécurité est un impératif, la protection des écosystèmes côtiers face aux externalités négatives des activités portuaires est tout aussi urgente.
Image 3 vue 3S : un triptyque au cœur de la gouvernance portuaire
- Environnement : vers des ports écoresponsables et biodiversifiés
Les ports africains génèrent une empreinte écologique croissante sur les milieux marins, côtiers et atmosphériques. Le respect des conventions internationales et la mise en place de systèmes de traitement des eaux de ballast, de collecte des déchets et de réduction des émissions sont essentiels.
D’ici 2035, les ports les plus performants intégreront des stratégies d’économie circulaire, incluant la réutilisation des matériaux, le recyclage des déchets et la valorisation des boues de dragage.
La protection des mangroves, zones humides et récifs coralliens constituera une obligation écologique.
En parallèle, les ports devront se rapprocher des populations et devenir des acteurs sociaux inclusifs.
Image 4 : vue Environnement : vers des ports écoresponsables et biodiversifiés
- Renforcement communautaire : des ports inclusifs au service des territoires
Les ports de demain devront devenir des centres de développement humain. Cela passera par la création de centres de formation portuaire, la mise en place d’observatoires citoyens, et des initiatives en faveur de l’égalité des genres.
D’après l’OMI, chaque million de tonnes de fret supplémentaire traité par un port africain peut créer entre 500 et 1 000 emplois directs et indirects.
Enfin, aucun de ces objectifs ne sera atteint sans une transition énergétique profonde et coordonnée.
Image 5 : Vue Renforcement communautaire au service des territoires
- Climat et énergie : des ports zéro carbone en construction
L’OMI vise une réduction de 70 % des émissions de GES dans le transport maritime d’ici 2050. En Afrique, les ports doivent devenir des acteurs majeurs de la décarbonation. À l’horizon 2035, des systèmes d’électrification des quais (cold ironing), l’usage du GNL, de l’hydrogène vert et des biocarburants seront encouragés.
Des incitations fiscales et des fonds climat devront être mobilisés pour soutenir cette transition énergétique, notamment pour les ports secondaires.
À l’horizon 2035, les ports africains peuvent devenir des écosystèmes intelligents, verts, inclusifs et compétitifs, à condition de mobiliser des politiques cohérentes, des ressources humaines qualifiées et des investissements massifs.
La clé réside dans une gouvernance partagée, une coopération régionale renforcée et une adhésion résolue aux normes internationales. Le port de demain sera un acteur-clé de la transition économique et écologique du continent africain.
Image 6 : Vue Climat et énergie : des ports zéro carbone en construction
Les ports africains sont à la croisée des chemins. Le modèle portuaire de demain ne pourra réussir sans une articulation harmonieuse entre innovation technologique, durabilité environnementale, résilience climatique et intégration communautaire. Les six piliers proposés constituent un socle opérationnel pour construire des hubs portuaires africains modernes, compétitifs et au service du développement durable. Nous devons repenser autrement la manière dont nous gérons les ports africains, en misant sur une gouvernance proactive, inclusive et tournée vers l’avenir. Le modèle portuaire de demain ne pourra réussir sans une articulation harmonieuse entre innovation technologique, durabilité environnementale, résilience climatique et intégration communautaire. Les six piliers proposés constituent un socle opérationnel pour construire des hubs portuaires africains modernes, compétitifs et au service du développement durable
Références bibliographiques
- IAPH (2023). World Ports Sustainability Program Report
- Union Africaine (2023). Plan Climat pour les Infrastructures Portuaires Africaines
- BIMCO (2024). Africa Ports Readiness Survey
- CEDEAO (2025). Initiative Zéro Déchet Marin
- Observatoire Portuaire Africain (2024). Rapport annuel sur la performance des ports africains
- IMO (2023). Strategy to reduce GHG emissions from ships and ports
- UNCTAD (2024). Review of Maritime Transport in Africa