Du cinéma à la musique en passant notamment par le multimédia ou les jeux vidéo, les Industries culturelles et créatives (ICC) font récemment l’objet d’un certain focus en Afrique en raison de leur potentiel pour l’économie, clairement démontré en Europe ou ailleurs. Face à un dynamisme naissant porté les jeunes talents, investissements privés et création de synergies africaines face aux géants mondiaux s’avèrent être des impératifs, aux yeux des acteurs de ces secteurs.
« L’Afrique comprend certaines des économies les plus dynamiques au monde. Et l’Afrique a plus – beaucoup plus – à offrir. […] Le moment est venu de […] reconnaître l’émergence des industries créatives et culturelles africaines sur la scène mondiale ». Ce sont les mots du Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres, lors de la rencontre inaugurale de l’Initiative mondiale des entreprises africaines en septembre dernier à New York. Une sortie intervenant dans un contexte d’éveil des consciences quant au potentiel des industries culturelles et créatives (ICC) pour le développement économique du continent, notamment après la série de restitution d’objets d’arts africains aux pays d’origine dont le Bénin, des opérations considérées par certains experts comme « l’un des grands enjeux du 21è siècle entre l’Europe et l’Afrique ».
« Le continent doit prendre sa place dans ce marché »
Jusqu’en 2015, la part de l’Afrique était estimée à environ 1% des 1,1 trillion de dollars du marché mondial des ICC. Mais à date, plusieurs organisations évaluent entre 3% à 5% le poids du continent dans ce marché. Et ce, parce que ces activités – relevant bien souvent de l’informel sur le continent – n’ont pas souvent été correctement promues pour ce qu’elles représentent économiquement. « Il est temps que l’Afrique prenne toute sa place dans ce marché », aime dire Jean-Pierre Elong-Mbassi, secrétaire général de Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique (CGLU Afrique), qui s’est fait récemment chantre du développement économique et social par la culture et l’économie créative.
En Europe, les ICC plus performantes que les Telcos, le High Tech ou l’automobile
Les ICC sont en effet identifiées comme étant parmi les industries à la croissance la plus rapide au monde, laquelle serait de l’ordre de 7% par an. Ailleurs dans le monde, les économies tirent parti de cette dynamique depuis longtemps. Aux Etats-Unis, les ICC pèsent plus de 1 000 milliards de dollars en 2021, selon le gouvernement, tandis qu’en Chine, les chiffres de la profession évoquent une croissance annuelle de l’ordre de 14% depuis le début des années 2000. Au sein de l’Union européenne (UE), les ICC ont affiché 643 milliards d’euros de revenus en 2019, soit 4,4% du PIB. Cette « contribution économique [est] supérieure à celle des télécommunications, de la haute technologie, de l’industrie pharmaceutique ou de l’industrie automobile », analyse Marc Lhermitte, associé chez Ernst & Young, au sujet d’un pan de l’économie qui emploie plus de 7,6 millions de personnes.
Comment le talent des jeunes peut servir l’économie
Si globalement, le continent africain ne pèse encore qu’un poids plume dans le business créatif mondial, certains pays se démarquent. Outre l’Afrique du Sud qui s’érige en référence historique, à l’Ouest du continent, le Nigeria rayonne désormais à l’international avec son industrie cinématographique baptisée « Nollywood » ou son industrie musicale. L’Egypte a également su établir une économie autour de ses séries télévisées et films arabophones qui rencontrent le succès en Afrique du Nord et au Moyen Orient. Le Maroc, quant à lui, tire parti de son attractivité pour les tournages de films internationaux.
Pour rappel, les ICC englobent dix secteurs : l’architecture, les livres, la presse, l’audiovisuel, la radio, la publicité, les jeux vidéo, la musique, les arts du spectacle et les arts visuels (arts plastiques, photographie, cinéma, arts vidéo, arts numériques, arts décoratifs). Si le réveil africain s’opère peu à peu dans tous les secteurs, celui des arts visuels, le cinéma en particulier, affiche une ferme volonté d’émergence portée par les jeunes. Ils étaient plus de 800 -issus de 48 pays du continent- à candidater pour les différents prix du Mobile Film festival Africa dont la deuxième édition s’est tenue le 8 juin à Rabat, dans le cadre du programme Rabat – Capitale africaine de la culture. Principe : un film d’une minute, tourné à partir d’un smartphone. Une cinquantaine de jeunes a été primée pour des sujets variés, en lien avec les réalités africaines. « C’est bouleversant qu’en une minute, le talent d’un réalisateur ou d’une réalisatrice soit si évident, non seulement techniquement, mais aussi scénaristiquement et artistiquement parlant. Ce talent mérite d’être valorisé », confie Gad ElMaleh humoriste, acteur, réalisateur et chanteur marocain et président du Jury du Mobile Film Festival Africa. Il a notamment insisté sur la nécessité de mobiliser l’investissement afin de faire rayonner ces jeunes talents.
« Où sont nos hommes d’affaires ? »
Pour la réalisatrice Françoise Ellong-Gomez, la valeur ajoutée économique des ICC devrait davantage parler non seulement aux Etats afin d’élaborer des stratégies gagnantes, mais aux investisseurs privés pour le développement d’un business dont le dynamisme serait porté par les jeunes créatifs africains. « Quand on regarde les économies des pays où les industries culturelles et créatives se développent, on voit très bien la différence avec le reste du continent. On voit bien que les Nigérians se font beaucoup d’argent dans le cinéma, par exemple. Mais ailleurs sur le continent, où sont nos hommes d’affaires ? Il faut qu’ils investissent en masse dans ces secteurs », interpelle la réalisatrice bénino-camerounaise qui revendique l’impact économique des tournages et événements culturels et créatifs, en termes de création d’emplois et d’activités connexes..
Le coup de pouce du digital
Ce dynamisme naissant des ICC est aussi porté par la technologie : usage des drones, des technologies avancées… Une tendance renforcée suite à la crise Covid qui a favorisé la dématérialisation des industries de manière générale. Outre le cinéma, les jeux ont le vent en poupe. En effet, cette industrie devrait croître de 12 % entre 2020 et 2025, tirée par l’innovation technologique, avec 186 millions d’amateurs en 2021 contre 77 millions en 2015, selon le dernier rapport de la CNUCED sur l’économie créative mondiale. La musique n’est pas en reste, car établi à 100 millions de dollars en 2017, une étude de la Banque mondiale estime le marché africain du streaming de musique numérique à 500 millions de dollars d’ici 2025. Même si le nombre d’Africains collectionneurs d’art augmente relativement lentement, l’e-commerce des œuvres d’art et des biens créatifs en général prend peu à peu son envol dans une Afrique qui a gagné le pari de son leapfrogging technologique, où il est de plus en plus question d’industries créatives numériques.
Les nécessaires « synergies » face aux mastodontes du marché mondial
Placé au cœur de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, les ICC y font l’objet d’un plan d’action visant à lever les « obstacles [qui] demeurent au niveau de la fabrication, la production des biens et produits culturels africains » et leur commercialisation sur les marchés internationaux. L’institution panafricaine a, par la suite, consacré son année 2021 à la promotion des ICC. En 2022, c’était au tour de la Banque africaine d’Import-Export (Afreximbank) de rassembler l’écosystème business autour des questions liées au développement des ICC, avec des initiatives comme le Creative Africa Nexus (CANEX) où les transactions, lors de l’édition 2021, se sont chiffrées à plus de 36 millions de dollars.
A ce stade, certains pays tentent de saisir l’opportunité, en mettant en place des stratégies nationales qui incluent l’amélioration de l’environnement des affaires pour les entrepreneurs culturels et créatifs et les investisseurs qui s’intéressent à ces secteurs. C’est le cas notamment de l’Angola tout récemment. Mais au-delà des stratégies nationales, Eros Sana du CGLU Afrique, estime qu’il faudra créer un écosystème régional pour faire peser la culture et la créativité du continent dans le monde : « Il faut véritablement constituer des synergies qui permettront aux Africains de négocier sur le grand marché mondial des ICC face aux mastodontes que sont par exemple Netflix, Apple et autres ».
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