LE CONSOMMONS LOCAL AU BENIN. POURQUOI ET COMMENT ?: Les analyses du Dr Ir. Emile N. HOUNGBO

Agroéconomiste, Enseignant-Chercheur, Ecole d’Agrobusiness et de Politiques Agricoles (EAPA) Université Nationale d’Agriculture (UNA) La célébration du «Mois du Consommons local» est désormais entrée dans le langage de développement au Bénin. Cet événement dont la première édition a été lancée en 2020 par le Ministère de l’Industrie et du Commerce (MIC) du Bénin, a été encore célébré cette année 2021. En tant que concept nouveau, il importe de porter des réflexions sur sa clarification et les mécanismes qui lui permettront de se traduire concrètement dans les faits. Autrement, ce concept à connotation essentiellement économique, voulu par le Gouvernement, pourrait se transformer en simple slogan comme l’ont été d’autres concepts dont la célébration passe depuis des décennies sans impact réel sur l’économie. Il s’avère donc important d’expliquer en termes simples pourquoi et comment la promotion du consommons local serait un moyen de croissance économique et de développement du Bénin.

 

Pourquoi promouvoir le consommons local ?

La consommation est le fondement de l’économie. Elle fait partie intégrante de la création de la richesse et donc de l’amélioration du bien-être général des populations d’une nation. Un peuple consommateur est un peuple riche. Et il est d’autant plus riche qu’il consomme ses produits, non pas par xénophobie, mais pour tirer les autres maillons de la croissance économique tels que les investissements, les dépenses du gouvernement, la réduction de l’importation et l’augmentation de l’exportation.

 

A titre d’illustration, prenons l’exemple du «Tchoukoutou» au Bénin.

Le Tchoukoutou est une boisson alcoolisée à base du sorgho qui est une culture très adaptée à plusieurs régions du Bénin, mais cultivée principalement au centre et au nord Bénin. Le Tchoukoutou est particulièrement produit dans le Département de l’Atacora, avec une extension progressive qui s’observe dans quasiment tous les Départements du Bénin. C’est un produit de grande consommation dans le Département de l’Atacora comme le Sodabi (boisson alcoolisée à base du vin de palme) au sud Bénin.

Quels bénéfices attirerait une promotion intensive de la consommation du Tchoukoutou pour le Bénin ?

La promotion du Tchoukoutou appelle l’augmentation de la demande du sorgho; ce qui améliorerait le revenu et la situation socioéconomique des producteurs du sorgho et du Tchoukoutou. L’amélioration des conditions économiques de ces derniers induira l’accroissement des investissements dans les facteurs de production de ces deux produits. Les techniques culturales et les technologies de stockage, de conservation et de transformation du sorgho vont s’améliorer quantitativement et qualitativement. Les investissements permettront de développer des technologies de production performantes et adaptées, avec ce que cela peut générer aux autres acteurs impliqués (commerçants, transporteurs, etc.). L’agro-industrie, qui est restée jusque-là embryonnaire au Bénin, va s’intensifier. L’accroissement des investissements créera des revenus et donc des possibilités de taxes et d’impôts pour l’Etat. Le renversement de la tendance de consommation vers le Tchoukoutou (pour ne parler que de cette seule boisson) aura comme effet la réduction de l’importation des boissons exotiques telles que le vin et le champagne; ce qui rehausserait ceteris paribus la balance commerciale du pays. Si en plus de cette réduction de l’importation, le progrès technologique de la production du Tchoukoutou permet son exportation, alors cela renforcerait encore plus cette balance commerciale. En définitive, si le Tchoukoutou est promu, la richesse nationale va augmenter. L’augmentation cette richesse nationale va se traduire par l’amélioration de la qualité de vie des producteurs, des transformateurs et des Béninois en général, puisque le Gouvernement aura des ressources supplémentaires pour financer l’économie (routes et autres infrastructures, pistes de dessertes rurales, développement d’autres filières agricoles, etc.) et les services sociaux (santé, éducation, eau potable, etc.). Cependant, ces bénéfices listés ne pourraient pas se dégager sans que certaines conditions ne soient créées. Il faut bien des actions de développement qui accompagnent. Comment procéder ?

Deux voies complémentaires pour la promotion du Consommons local au Bénin

Pour réussir la promotion du Consommons local, plusieurs voies sont possibles, mais, il y en a deux qui semblent indispensables : la voie de la communication abondante et diverse sur les valeurs des produits locaux et la voie de la confirmation officielle et régulière de ces valeurs des produits locaux. Ces deux voies devraient être considérées comme complémentaires.

Communication abondante et diverse sur les valeurs des produits

Promouvoir le Consommons local des produits alimentaires par exemple suppose que les populations aient une bonne connaissance des innovations agroalimentaires du pays, leur qualité nutritionnelle et la satisfaction qu’elles apportent aux besoins de consommation des populations (besoins alimentaires, sanitaires, culturels, etc.). Ceci est un travail à faire en amont avant le «Mois du Consommons local». Il ne s’agit plus de croire que les Béninois préfèrent uniquement les produits venant d’ailleurs. Les faits prouvent que c’est une assertion qui n’est pas juste. L’exemple des poulets locaux (bicyclettes), du gari Sohoui de Savalou et de l’huile d’arachide d‘Agonlin (Agonlinmi) sont là. Ces produits locaux sont préférés aux produits importés.

Confirmation officielle et régulière des valeurs des produits

En appui à la voie ci-dessus citée, il importe de poser des actions publiques. Le «Mois du Consommons local» aurait davantage de poids et d’effets si les autorités politico-administratives donnent publiquement l’exemple de la consommation des produits locaux. Ceci est très important pour ne pas faire croire que les produits locaux du pays ne conviennent qu’aux démunis. Par exemple, on pourrait accorder lors des grandes rencontres et manifestions officielles aux niveaux central, déconcentré et décentralisé une place de choix à la consommation des produits locaux. Il s’agit notamment de préférer le Tchoukoutou et le Sobabi au vin et au champagne, le Wassa-wassa et le Yêkê-yêkê au couscous de blé, les tenues locales cousues ou non en tissus fabriqués au Bénin à la veste, les musiques béninoises aux musiques importées, etc. Cette seconde voie semble essentielle, et c’est ce qu’il faut souhaiter prioritairement comme mesure d’accompagnement véritable du consommons local au Bénin.

Quels enseignements ?

La promotion du Consommons local est essentielle pour la croissance économique et le développement du Bénin. Il ne s’agit bien sûr pas de rejeter in extenso les produits étrangers – parce que la diversité est une richesse -, mais de donner priorité aux produits locaux. L’exemple des pays développés comme la France et l’Italie et celui des pays émergents comme la Chine et l’Inde renforcent cette assertion.

Par Prudence KPODEKON

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